Baudelaire et une passante


Un bref extrait du poème ‘A une passante’, dont nous reproduisons ici l’intégralité. Image: Étienne Carjat, Portrait de Charles Baudelaire, circa 1862. Charles Baudelaire, né le 9 avril 1821 à Paris et mort dans la même ville le 31 août 1867, est un poète français. « Dante d’une époque déchue »1 selon les mots de Barbey d’Aurevilly, « tourné vers le classicisme, nourri de romantisme »2, à la croisée entre le Parnasse et le symbolisme, chantre de la « modernité », il occupe une place considérable parmi les poètes français pour un recueil qu’il aura façonné sa vie durant : Les Fleurs du mal, mais aussi pour sa poésie en prose, réunie dans Le spleen de Paris.

A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !